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Endogirls, du tabou à la lumière

 

 

 

Largement inconnue il y a à peine trois ans, l’endométriose, une maladie liée aux règles, est désormais de plus en plus médiatisée. Plus de jeunes femmes sont diagnostiquées, ce qui leur permet d’être mieux soignées, d’accéder plus facilement à la maternité et de se sentir mieux comprises par leur entourage. Aujourd’hui, elles ne veulent plus laisser le silence et le tabou de la douleur se réinstaller.

Les couleurs sont vives sur la place devant la mairie du XVe arrondissement de la capitale, où quelques 900 personnes sont rassemblées. Des femmes de tous âges, accompagnées de leur conjoint, de leur mère, d’une soeur ou de leurs enfants. Aujourd’hui, elles marchent contre l’endométriose, cette maladie chronique qui se traduit par d’importantes douleurs de règles parfois invalidantes. Première cause d’infertilité en France et incurable, elle touche une à deux femmes sur dix selon l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm). Le combat contre la maladie est symbolisé par un ruban jaune que la plupart d’entre-elles ont épinglé sur leurs vêtements ou dessiné sur des pancartes. Toutes de jaune vêtues, elles blaguent, dansent, agitent des ballons. Une fanfare les accompagne dans les rues de Paris. L’ambiance est à la fête.

 

 

L’endométriose touche deux à quatre millions de Françaises. Elle est pourtant toujours considérée comme une maladie orpheline, peu connue du grand public mais aussi d’une majeure partie du corps médical. En moyenne, les femmes atteintes d’endométriose souffrent sept ans avant qu’un diagnostic ne soit enfin posé, selon l’Inserm. En attendant, elles multiplient les consultations chez plusieurs médecins, qui ne parviennent que rarement à détecter cette maladie complexe aux symptômes tantôt digestifs, tantôt urinaires ou musculaires... Les femmes s’entendent bien souvent dire que leurs douleurs de règles sont normales, ou psychologiques. Quand le diagnostic tombe, elles ont alors la confirmation qu’elles ne sont ni folles, ni douillettes. Elles sont alors en colère contre un système médical qui ne les a pas prises en charge, mais les organisateurs de cette quatrième marche mondiale contre l’endométriose ne voulaient pas laisser trop de place aux ressentiments. “L’ambiance est festive, c’est volontaire,” explique Nathalie Clary, présidente de l’association EndoMind. “La marche sert aussi à célébrer les avancées.”


 

Aujourd’hui, les militantes des nombreuses associations de lutte contre l’endométriose fêtent notamment la manière dont la maladie s’est fait connaître au cours des trois dernières années, passant de l’obscurité la plus totale à une mise en avant régulière dans les médias. Une première campagne d’information a été lancée en 2016, menée par le docteur Chrysoula Zacharopoulou, à la tête de l’association Info-Endométriose. La chirurgienne d’origine grecque a fait de la reconnaissance de la maladie un enjeu féministe, où faire tomber le tabou des règles permet de libérer les femmes de la douleur. “Aujourd’hui, on ne peut plus dire que la maladie est méconnue,” assène-t-elle. Des personnalités publiques comme l’actrice Julie Gayet, la chanteuse Imany, ou la star de “Plus belle la vie” Laetitia Milot, parlent publiquement de leur maladie, sur le modèle de Lena Dunham ou Susan Sarandon aux Etats-Unis.

 

 

Le docteur Zacharopoulou explique que le but de la campagne d’information est de pousser les femmes à aller consulter, ajoutant qu’elle est surtout destinée au grand public et aux jeunes générations. Et cela fonctionne. Delphine est un de ces visages croisés lors de la marche. La jeune femme de 29 ans est venue accompagnée de sa mère, en renfort. Après sept ans de douleurs et huit gynécologues différents, c’est par hasard qu’elle comprend finalement qu’elle est atteinte d’endométriose, lorsque ses parents regardent une émission consacrée à la maladie et l’appellent. Elle consulte un spécialiste et le diagnostic tombe. “J’étais soulagée d’avoir la confirmation que les douleurs, ce n’était pas dans ma tête,” dit-elle.

 


Manon, elle, a appris l’existence de la maladie par Laetitia Milot. “Chez nous, on est des grands fans de ‘Plus belle la vie’ !” explique-t-elle, enjouée. “Les symptômes correspondaient à tout ce que j’avais !” La jeune étudiante semble extravertie et joyeuse. Pourtant, l’endométriose a eu chez elle des conséquences désastreuses. Il y a un an, ses douleurs étaient si violentes qu’elle était forcée de se déplacer en fauteuil roulant. Elle a subi une batterie de tests en tous genres : neurologiques, rhumatologiques... Les médecins émettent toutes les hypothèses, sauf celle d’une endométriose. “Ce qui me dépite, c’est que les médecins ne pensent pas eux-mêmes à nous dire d’aller faire ce test.”

Endo...quoi ? Pour tout comprendre à l'endométriose, c'est par là !

 

Un tsunami de nouvelles patientes

De plus en plus de femmes “s’auto-diagnostiquent” grâce à la médiatisation de la maladie, et elles sont également de plus en plus jeunes. EndoFrance, l’association la plus ancienne et avec un important réseau national de bénévoles, croule sous les mails quotidiens de demandes d’information sur l’endométriose, multipliés par trois depuis trois ans.

 

 

Le docteur Petit a lui aussi vu la différence. Ce radiologue est un des spécialistes pionniers de l’imagerie de l’endométriose et a fondé le centre spécialisé du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph. Il reçoit de plus en plus de personnes, que ce soit dans son cabinet privé ou à l’hôpital. Deux tiers d’entre-elles viennent d’elles-mêmes, sans être dirigées par un généraliste ou un gynécologue, parce qu’elles suspectent une endométriose après avoir lu un article, vu une émission, ou discuté sur les réseaux sociaux. “Et souvent, elles ont raison !” affirme le médecin, le sourire aux lèvres. Très efficace mais attentif à chacune de ses patientes, Erick Petit reçoit une quinzaine de personnes par demi-journée. A l’hôpital, ses délais de rendez-vous sont en moyenne de huit à neuf mois, et ses collègues spécialistes sont dans la même situation. “On explose, on ne peut pas faire face. Nous sommes trop peu nombreux à s’intéresser à la maladie”, déplore-t-il. D’après lui, il serait nécessaire de former des spécialistes et d’ouvrir au moins deux centres de référence dans chaque grande ville pour faire face au “tsunami” des consultations.

 

 

Selon Erick Petit, les patientes ne sont pas les seules à être plus sensibilisées : les médecins ne sont pas en reste. “Il y a un bruit de fond permanent qui fait que les médecins en entendent parler. Ils sont en train de comprendre qu’ils sont passés à côté d’une maladie très fréquente”. Il s’aperçoit que le nombre de patientes redirigées vers lui par des gynécologues ou des généralistes est aussi en augmentation. Il travaille également avec un réseau de praticiens, qui lui envoient des patientes de plus en plus jeunes, encore adolescentes.

 


Pour le spécialiste, cette arrivée massive de nouvelles patientes est une grande avancée dans la mesure où il est de diagnostiquer la maladie avant qu’elle ait des effets irréversibles. “Plus on tarde à traiter la maladie, alors plus la patiente a de chances qu’un relais neurologique se créée dans le cerveau, et que la douleur ne devienne indépendante et permanente. Un peu comme lorsque l’on a mal à un membre fantôme.” Comme toute maladie impliquant des douleurs chroniques et intenses, l'endométriose peut à terme aboutir à une mémorisation des circuits douloureux par le corps : la souffrance est présente indépendamment des phénomènes physiques qui la causaient en premier lieu. “Il est très difficile d’éradiquer la douleur lorsqu’un relais neurologique est déjà créé”, insiste le médecin.

 

Les traitements existants ne peuvent pas guérir l’endométriose, mais ils peuvent atténuer les symptômes. Souvent, on prescrit aux femmes une contraception hormonale qui permet d’arrêter les règles, et le retrait éventuel de kystes d’endométriose via une ou plusieurs opérations chirurgicales. Les patientes restent alors sous traitement toute leur vie, et les douleurs peuvent être diminuées.

Le message d'espoir de la chanteuse Imany délivré pendant la marche mondiale contre l'endométriose, le 25 mars 2017.

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Un diagnostic précoce permet aussi aux femmes de faire des choix éclairés concernant leur fertilité. Quand la maladie n’est pas diagnostiquée suffisamment tôt, les femmes se retrouvent parfois au pied du mur lorsqu’elle décident d’avoir des enfants. Elles n’ont pas été prises en charge et la maladie atteint parfois un stade trop avancé, minimisant leurs chances de tomber enceinte.

 

 

La progression de l’information sur la maladie permet parfois de repérer la maladie plus tôt, et donc d’informer les jeunes femmes à temps de leur situation. Louise, 22 ans, a beaucoup d’ambition professionnelle. Cette étudiante à Sciences Po a appris qu’elle avait une endométriose en janvier dernier. “Ça a tout chamboulé,” explique-t-elle, les yeux dans le vague. “Je me suis toujours dit que je voulais trois enfants, mais que je les ferais tard, à 30 ans passés, une fois que je serai installée dans une très bonne position professionnelle.” Son radiologue puis son gynécologue lui conseillent de songer à faire des enfants “le plus tôt possible”, si elle souhaite en avoir. “Je me suis posé beaucoup de questions que je ne m’étais jamais posées de ma vie.” Le diagnostic de sa maladie l’a fait reconsidérer ses priorités. Elle reste incertaine, et songe à adopter.

 

 

A 23 ans, Amandine fait face aux mêmes choix. La jeune femme est inquiète par rapport à sa fertilité. Les médecins lui ont annoncé qu’elle n’ovulait pas, mais que sa dernière opération, où on lui a retiré des foyers d’endométriose sur les ovaires, a peut-être changé la donne. Quoi qu’il en soit, ses plans ont été chamboulés : “avec mon copain, on avait pour projet d’avoir des enfants, mais je voulais quand même terminer mes études avant… Ça a tout bousculé.” Pour mettre toutes ses chances de son côté, elle a décidé de tenter d’avoir des enfants le plus tôt possible, sans attendre d’obtenir son diplôme d’infirmière. Elle rencontre bientôt son chirurgien pour lancer une procédure pour une Procréation Médicalement Assistée (PMA). Son petit ami s’est lui aussi adapté à la situation : il a abandonné son projet de poursuivre ses études pour se lancer dans la vie active.



L’infertilité touche 40% des femmes atteintes d’endométriose. Le docteur Petit estime cependant que lorsque la maladie est bien prise en charge, deux tiers à trois quart d’entre-elles parviennent malgré tout à avoir des enfants.

Quand la douleur n'est plus normale

Émue, Laetitia Milot s'exprime le 25 mars 2017 à la quatrième marche mondiale contre l'endométriose à Paris, peu de temps après avoir été opérée.

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Le livre de la journaliste et féministe Elise Thiébaut retrace l'histoire du tabou des règles 

 Pour en savoir plus sur l'histoire du tabou de l'endométriose, c'est par ici !

 

Pendant l'Endomarche, une femme soulève son bébé en criant "Endo j'ai eu ta peau !"

Pour Cindy, marcher pour la reconnaissance de l'endométriose est un acte féministe. Elle s'est donc fait fabriquer un "pussy hat" sur le modèle de ceux portés lors de la marche des femmes qui a eu lieu pendant l'investiture de Donald Trump aux Etats-Unis. Sauf que celui-ci est aux couleurs du combat contre l'endométriose.  

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Texte et photos : Chloé Fiancette 

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Manon arbore fièrement une pancarte de l'association EndoFrance. Fan de "Plus belle la vie", elle a appris qu'elle avait une endométriose tardivement, grâce à internet et à Laetitia Milot. Pourtant, la maladie a causé chez elles d'importants effets secondaires. Il y a un an, elle se déplaçait en fauteuil roulant. 

Affiche de la première campagne d'information sur l'endométriose, lancée le 8 mars 2016.

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Evolution de la recherche du mot "endométriose" en France au cours des cinq dernières années. (Les résultats reflètent la proportion de recherches portant sur un mot clé donné dans une région et pour une période spécifiques, par rapport à la région où le taux d'utilisation de ce mot clé est le plus élevé (valeur de 100, ici en février 2017). Source : Google Trends

Comment l'endométriose est sortie de l'ombre ?

Plus d'infos par ici !

 

Reprendre le pouvoir sur sa fertilité

La sortie de l’ombre de la maladie a également permis les prémices d’un changement des mentalités et du regard porté sur les patientes. Les douleurs de règles sont encore considérées comme normales par une grande partie de la population et les femmes atteintes d’endométriose sont parfois perçues comme douillettes ou hypocondriaques par leurs proches. Dans beaucoup de cas, cela s’accompagne aussi d’une incompréhension de leur entourage professionnel devant leurs absences à répétition

 

 

Active sur les groupes dédiés à l’endométriose sur les réseaux sociaux, Julie, 24 ans, témoigne de cette transformation. Elle explique que lorsqu’on lui a découvert une endométriose lorsqu’elle avait 15 ans, à une époque où l’on ne parlait pas de la maladie. Elle n’était pas prise au sérieux par sa famille : “Personne ne comprenait pourquoi certains jours je devais rester couchée, j'ai entendu beaucoup de réflexions. On me disait que j’étais vraiment une chochotte.” Collée pour ses absences au lycée, elle fait face aussi à l’incompréhension de ses amies, qui ne comprennent pas pourquoi ses règles la rendent malade. Julie en arrivait à douter d’elle-même : “Je me disais que c’était peut-être moi qui avais un problème”.

 


A ses yeux, le regard de son entourage a changé au cours des dernières années, grâce à la médiatisation de la maladie. “C'est plus facile à vivre, les gens connaissent les inconvénients de cette maladie. Ils sont plus compréhensifs. Je suis en école d’infirmière, et lorsque je ne peux pas travailler, mes formatrices le comprennent très bien.” Cette meilleure compréhension l’aide à surmonter les difficultés de cette maladie qui impacte la vie privée et professionnelle. “Psychologiquement, ça aide quand on n’a pas les réflexions.” Pour Julie, il est important de parler de la maladie aux jeunes filles dans les collèges et lycées, pour éviter qu’elles ne se retrouvent dans une situation similaire à la sienne lorsqu’elle était adolescente.

Les "Endogirls" brisent le tabou

Pauline, une autre endogirl, estime elle aussi que le regard sur la maladie a changé. “Quand j’ai super mal au ventre et que je le dis, je sais qu’on ne va pas lever les yeux au ciel en disant que ce n’est rien.” La jeune femme de 20 ans a toujours facilement parlé de ses douleurs de règles. “Ma soeur a aussi des règles douloureuses, donc c’est quelque chose dont on parlait tous les mois. Pour moi, ce n’est pas tabou du tout.

 

 

La jeune étudiante sent bien que pour ses deux grand-mères, c’est une tout autre histoire. “Elles ont tendance à minimiser la maladie, pour elle, c’est la nouvelle maladie à la mode !” Elle sent bien que le sujet les met mal à l’aise. “Elles coupent vite court... Elles s’en sont sorties avec des bouillottes chaudes et des tisanes et elles s’attendent à ce qu’on fasse pareil ! ” plaisante-t-elle.

 

 

Ce n’est pas toujours évident de parler d’endométriose, puisque le sujet des règles est encore largement tabou. A l’Endomarche, Delphine conçoit que “c’est une partie de la féminité qui n'est pas forcément abordable”. Sa mère acquiesce. La jeune femme est cependant déterminée à briser le silence. “Si personne n’en avait parlé, j’aurais été dans l’ignorance.”

 

 

Conscientes qu’il vaut mieux être prises en charge tôt, les “endogirls” parlent autour d’elles pour inciter leurs amies, leurs connaissances ou leurs soeurs à se faire diagnostiquer si elles ressentent des symptômes.

 

 

Il y en a qui font leur coming out par rapport à leur orientation sexuelle, moi je fais mon coming out par rapport à l’endométriose !” déclare Delphine, un grand sourire aux lèvres. “Il faut sortir du placard et faire comprendre aux femmes que la douleur ce n’est pas normal.”

 

 

Encore des défis importants attendent les “endogirls”. L’endométriose est encore peu reconnue par rapport à des maladies comme le diabète, même si elle touche une proportion similaire de la population. Les divers symptômes et effets secondaires de la maladie sont encore méconnus, la maladie étant très complexe car des foyers d’endométriose peuvent se créer dans tout le corps. Les associations et praticiens insistent sur le besoin de former plus de spécialistes, de former l’ensemble du corps médical à la détection de la maladie, et de financer la recherche. Les patientes expriment, elles, le besoin d’une meilleure prise en charge des frais de santé, car elles multiplient les rendez-vous chez des spécialistes aux honoraires parfois élevés.

 


Le docteur Zacharopoulou se félicite cependant des changements récents. “C’est rare que les choses changent autant en seulement trois ans !” dit-elle, optimiste. “Le tabou est en train de tomber. La nouvelle génération a beaucoup de chance.

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Delphine, 29 ans, est venue à la quatrième marche mondiale contre l'endométriose accompagnée de sa maman. Surmontant ses premières difficultés à parler du sujet de l'endométriose, elle souhaite faire tomber le tabou pour permettre aux femmes d'être mieux soignées. 

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Tina, 36 ans, est venue à la marche accompagnée de sa petite sœur, venue la soutenir. Son endométriose a été diagnostiquée il y a plus de 10 ans, mais elle a compris récemment l'ampleur et la réalité de la maladie lorsqu'elle a assisté à un concert d'Imany pour l'endométriose.  

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Evolution de la publication d'articles de presse sur l'endométriose en France au cours des cinq dernières années. (Les résultats reflètent la proportion de recherches portant sur un mot clé donné dans une région et pour une période spécifiques, par rapport à la région où le taux d'utilisation de ce mot clé est le plus élevé (valeur de 100, ici en février 2017). Source : Google Trends

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